Christine. Donc, fort de votre expérience, ce passage à l’éco-circularité, ça a dû être compliqué chez Montabert. Est-ce que vous pourriez justement nous présenter les freins ou les écueils de ce changement ?
Oui, bien sûr. Et ce n'est pas quelque chose de simple. Il n'y a pas mal de freins pour effectuer cette transition, notamment, des difficultés économiques.
Le reconditionnement d'un produit ça veut dire aussi pour le consommateur quelque chose qu'on doit garantir avec le même niveau d'exigence et de performance. Et on s'aperçoit qu'aujourd'hui, les consommateurs ne sont quand même pas prêts à payer le même prix que pour du matériel neuf, même si on leur explique qu'il est tout à fait les mêmes qualités et performances.
Et donc, il y a un enjeu économique parce que ça coûte de l'argent de faire revenir le matériel, de le reconditionner, de reprendre toutes les pièces. Ce n’est pas parce qu'on économise un peu sur la matière première que c'est vraiment moins cher. Et donc il y a un enjeu économique. Il faut quand même que ça reste une activité profitable pour l'entreprise.
Il y a des freins aussi logistiques. Je parlais tout à l'heure d’'identifier nos gisements, mais surtout de les récupérer. Comment est-ce qu'on fait revenir les produits quand on a exporté vers l'Australie ? Si on doit faire revenir nos brises roche et plusieurs tonnes d'acier en France pour les reconditionner, eh bien, ça tue un peu l'intérêt de la décarbonation sur ce segment-là.
Donc il faudrait pour ça passer à du multi local pour pouvoir mettre en place ces boucles de manière efficace. Il y a aussi des freins économiques et financiers dans le sens où dans les grandes dynamiques des groupes aujourd'hui, quand on prépare son business plan, on attend de la croissance tant en volume qu'en chiffre d'affaires et quand on intègre du circulaire comme on va, une partie de notre activité va être faite à partir de produits déjà commercialisés. Ça va pas avoir forcément les mêmes impacts en terme de croissance. Donc je pense qu'il faut aujourd'hui changer les mentalités et réfléchir plus en pérennité, rentabilité, conserver l'emploi et la profitabilité parce que c'est quand même essentiel. Il y a bien « économie » dans l'économie circulaire, mais pas forcément croissance à l'infini qui voudrait dire consommer de plus en plus de ressources, comme l'a dit Caroline, tout à l'heure, qui ne sont pas infinies.
Et puis le dernier frein, il est à mon avis technologique. J'ai parlé des systèmes d'information, les systèmes MRP qui sont conçus pour des flux linéaires aujourd'hui et qu'il va falloir faire évoluer pour pouvoir efficacement intégrer la circularité dans nos modèles.
Donc on parle de rentabilité, mais sans gaspillage de ressources. C'est l'enjeu aujourd'hui de Montabert ?
Exactement.
Caroline pour La Ruche et par rapport aux différents retours d'expérience des projets grappes.
Alors je complète ce qu'a dit Christine. Il y a des freins économiques effectivement, puisque pour le moment, les indicateurs sont quand même toujours basés sur le principe d'une croissance. Donc ça c'est un des premiers freins. Il faut trouver des marchés et s'appuyer sur les bons leviers du coût pour lancer une nouvelle activité, il faut qu'elle soit rapidement rentable pour pouvoir la déployer et que ça fasse aussi boule de neige à l'intérieur d'une même entreprise.
Mais il y a aussi un autre, un autre frein qui est : faire ça c'est complexe et aujourd'hui on n'a pas forcément les compétences. On n'a pas non plus la compréhension de tout ce qu'est l'économie circulaire ou tous les leviers existants. Donc, il y a un aspect théorique déjà à acquérir sensibiliser, faire monter en compétence et dans tous les niveaux de l'entreprise.
Il faut que les dirigeants et les dirigeantes ait cette compréhension pour qu'ils puissent développer une vision et il faut que le middle management puisse comprendre aussi ce qui se passe. Et les collaborateurs comprennent quels sont leurs leviers d'action et qui maîtrisent aussi bien les outils qui vont leur permettre de mettre en place ces nouvelles dynamiques. Donc pour moi, c'est déjà ce premier frein, de se sensibiliser, faire monter afin d'acquérir les compétences pour faire en sorte d'adresser ces sujets dans l'entreprise, créer la connaissance de ce sujet quelque part.
Il y a un autre frein, c'est que bien, il faut en même temps opérer. Donc ça, c'est tous les adhérents, tous les entreprises industrielles de La Ruche rencontrent la même problématique. C'est un peu Superman qui est en train d'avancer avec son costume. Et puis il est en train de l'ouvrir et dessous il y a son costume de super héros, mais il faut qu'il avance en même temps. Donc il faut continuer à opérer, à produire pour remplir les indicateurs qu'on attend. Et en même temps, il faut se transformer. Donc ça, ce n'est pas facile. Et puis, il faut aussi réinventer une chaîne de valeur. Il faut réorganiser les filières et réinventer finalement la relation client fournisseur.
Donc ça, c'est des chantiers qui ne sont pas évidents à mener non plus.
Est-ce que l'économie circulaire est quelque chose de réel aujourd'hui ? On entend énormément parler dans la presse. Il y a Renault qui communique le fait qu'ils ont ouvert deux usines sur l’éco-circularité Stellantis pareil, Volvo. Vous qui avez un retour d'expérience d'autres industriels, de PME locales, est ce qu’aujourd’hui ces sont des projets stratégiques qui fonctionnent et qui aboutissent, qui permet d'avoir les gains escomptés ?
Pour moi, il y a deux types de projet. En fait, il y a les entreprises existantes qui ont un modèle linéaire à la base qui sont en train de mettre en place chez elles des boucles de circularité. Et il y a des entreprises, start up, PME qui se lancent avec un modèle circulaire à la base. Et finalement on assiste à ça en ce moment.
On en a eu récemment dans la Ruche des témoignages de dirigeantes et dirigeants d'entreprises, de start up, PME industrielles qui ont, dans leur modèle économique, mis les principes de base de la circularité.
Alors je rejoins complètement Caroline sur ces dynamiques et par exemple un conseil qu'on peut donner aux industriels qui, comme nous, sont sur des modèles historiques linéaires pour aborder l'économie circulaire. C'est de commencer à isoler les activités un peu en mode start up pour pouvoir déjà construire l'offre et progressivement l'intégrer dans le modèle économique quand ça deviendra suffisamment important pour représenter une offre additionnelle.